Interview Florence Jacob

Nous avons eu le plaisir de rencontrer Florence Jacob, auteur avec Fabien Liénard du livre Marketing Mobile aux éditions Dunod en 2009. Florence est Normalienne et professeur agrégée de gestion. Elle enseigne à l‘université du Havre et à l’Ecole de Management de Normandie. Elle s’est spécialisée en marketing relationnel, et en marketing mobile.Vous pouvez lire ci-dessous notre échange qui fait un état du marketing mobile, 2 ans et demi après la sortie de cet ouvrage.

1/ Le mobile nourrit de grandes ambitions sur les interactions avec le monde physique, qu’en est-il dans les faits?

En effet, le mobile possède un certain nombre de caractéristiques d’usages et technologiques qui laissent entrevoir de belles choses en termes marketing et commercial. Malheureusement,  le marketing mobile est freiné par un manque de cohérence technologique.

Sur les codes  2D par exemple, il en existe deux catégories, les open sources comme QR Code et Datamatrix et les solutions propriétaires comme le flashcode par l’Association Française du Multimedia Mobile  dont le principal membre est Orange. Il faut également savoir que le code peut être crypté ou non. Si le code est ouvert, vous devez mettre dans le code toutes les informations de la page de destination. Orange a longtemps eu une politique commerciale forte pour imposer sa technologie en espérant en tirer un jour des bénéfices importants. L’agence MobileTag a longtemps géré la plateforme technique d’Orange et en 2010 la notoriété de Flashcode ne faisait plus de doute. C’est à ce moment-là qu’Orange a changé de stratégie en abandonnant l’idée de vendre des flashcodes mais en fondant son business model non plus sur la facturation du code mais dans la partie création de landing pages et CMS. Quelques initiatives de grandes ampleurs ont lieu mais l’usage n’est pas encore massif au niveau national et dans toutes les catégories de consommateurs. La PQR a mis en place une grande vague d’insertion de codes dans ses pages pendant 3 mois et puis plus rien. Carrefour a lancé un service mais avec un lecteur propriétaire en communiquant au début afin de le faire connaître et qu’il soit téléchargé. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes ne sont pas plus familiers du QR code que les autres tranches d’âges.

Sur le NFC, le système se base sur des fréquences qui communiquent entre le lecteur et la puce. Encore une fois, si chaque constructeur met en place sa propre fréquence, ce sera très compliqué en terme d’usage. Les rumeurs disent qu’Apple inclura la fonctionnalité dans son prochain iPhone 5 mais il est clair que ce sera avec leur propre technologie. Pour ma part, j’ai un Blackberry équipé en NFC mais aucun service ne fonctionne sur sa fréquence qui a une norme américaine. Il existe déjà au moins trois standards internationaux. On a tendance à penser qu’Apple a tué le Blueooth qui pourtant avait l’atout majeur de fonctionner sur l’ensemble du parc. Comme je l’évoque dans mon ouvrage, le Japon a cela de particulier que les opérateurs ont travaillé main dans la main avec les banques et ont imposé aux constructeurs une certaine harmonisation technologique qui a permis le décollage des usages. Je pense que l’usage du NFC se démocratisera avec des services comme la banque et les transports en commun. Un des avantages du NFC est qu’il marche même le téléphone éteint. Air France a voulu l’intégrer dans une coque de téléphone aux couleurs de la marque offerte aux clients VIP, afin de pallier au manque d’équipements des téléphones. Cela n’a pas marché pour des raisons techniques mais l’idée était bonne.

2/ Sur le secteur du Retail, comment les enseignes peuvent intégrer le mobile dans leur stratégie de relation client ?

En effet, ce secteur a tout intérêt à adopter le mobile dans leur marketing, leur communication et leur plan de CRM. Les deux prochaines révolutions seront la carte de fidélité qui est liée à la problématique de la reconnaissance des clients en magasin et le service de lecture étendu. Ceci étant, les enseignes devront apprendre à mesurer leur niveau de sollicitation via le mobile. Monoprix est un bon élève à ce sujet, leur marketing relationnel est bien pensé et n’utilise le SMS que dans certains cas bien précis afin de ne pas être trop intrusif. L’enseigne Jennyfer également a intégré le SMS dans sa stratégie relationnelle et de création de trafic et avec succès. L’envoi de coupons de réduction est à la fois un moyen de créer du trafic mais surtout d’augmenter le panier moyen. Ce levier a toujours très bien marché mais a connu une baisse des taux de retours, en effet un coupon est facilement oublié à la maison et donc pas utilisé lors du passage en caisse. La problématique est la reconnaissance du client lors de son passage en caisse. Pour la distribution, il s’agit de mettre à jour tout le parc de douchette des caisses. Il faut adapter le rayon pour pouvoir scanner des écrans réfléchissants comme celui des smartphones. Des marques comme La Croissanterie et Carrefour ont passé le pas également. L’usage de la carte de fidélisation par le mobile est lié à la dématérialisation du ticket et de la facture. La SNCF et Pathé Gaumont ont commencé à le mettre en place et le système rencontre un bon accueil. La croissanterie reconnait ses porteurs de carte de fidélité en scannant le pass navigo. Intermarché de son côté teste le paiement par leur carte de paiement maison incluant le NFC (qui n’est qu’un fil de cuivre très fin s’insérant facilement sur un autre support).

3/ Qu’en est-il de la deuxième révolution que vous évoquez, le service de lecteur étendu ?

Il s’agit tout simplement d’offrir une expérience au client à partir du packaging, à travers différents canaux, le plus évident étant le scan d’un QR code avec son mobile, cette mécanique est appelée outre atlantique « expanded packaging ». Ce concept est séduisant mais a du mal à se mettre en place pour des raisons techniques. Le premier problème est qu’il existe déjà 2 codes sur les packagings, celui du producteur relatif à la logistique et à la production et le code GS1 utilisé par le distributeur pour scanner le prix. Ajouter un 3ème code comme un QR Code qui permettrait au consommateur d’obtenir plus d’informations sur le produit n’est pas évident compte tenu de la place restreinte sur les packagings. Une solution envisagée serait d’utiliser un code existant comme le GS1, le problème et qu’il n’est pas unique, c’est un outil d’identification imparfait. Un produit peut avoir plusieurs codes différents et il n’existe pas de base de données chez les annonceurs. Coca Cola par exemple, refait des codes différents pour les produits destinés à la promotion, Pasquier a un code différent sur le même produit selon l’usine de production ou le pays. S’il y a une rupture de stock sur une usine, on peut faire venir des produits identiques d’une autre usine mais ayant un code différent. Ce problème disparait sur les produits technologiques ou le livre car c’est une catégorie de produits qui possède un code unique.  Les marques de distributeurs n’ont pas non plus ce problème. Casino s’intéresse de près à ce sujet également. Cet état de fait laisse le champ libre à des acteurs comme Google, qui avec Google product et son propre scanner donne la possibilité aux consommateurs de scanner le produit en magasin mais qui est renvoyé soit vers le produit de la base Google product soit vers un résultat de requête que la marque ne maîtrise pas. La problématique revient à du référencement naturel et à la présence de la marque sur les réseaux sociaux. Les marques se font désapproprier de quelque chose qu’elles pensaient maîtriser et être propriétaires. Elles maîtriseraient le discours en mettant un 3ème code mais cela semble peu envisagé. Leclerc a lancé son application pour comparer les prix en magasins, ils se basent pour faire cela sur les relevés de prix et sur les données des sites marchands concurrents.

4/ Quelles sont les autres innovations à venir autour du commerce avec le mobile ?

Plusieurs choses plus ou moins faciles à mettre en place se dessinent. La géolocalisation en magasin est une idée très simple qui serait un vrai levier en termes de merchandising et de parcours client in store. Or techniquement c’est très compliqué, le fait de ne pas être à ciel ouvert ne permet pas une bonne utilisation du GPS. Par contre, d’autres choses sont à venir, plus liées à l’usage, comme l’achat sur son mobile chez soi ou dans les transports et venir retirer son panier en magasin, ce qu’a bien compris et mis en place Leclerc. Un autre usage qui serait intéressant serait de scanner ses produits au moment de les jeter chez soi à la poubelle pour les commander, Tesco a d’ailleurs lancé une telle application en Angleterre.

5/ Où en sont les annonceurs dans l’intégration du mobile dans leur organisation ?

C’est un des problèmes du mobile en effet, ce média ou cet outil est vraiment à cheval entre le marketing, la direction de l’innovation, la DSI et le digital…Si le projet ne vient pas d’en haut, bien compris par tous les départements et drivé par des personnes convaincues en interne, les projets ont du mal à sortir.

6/ Avez-vous un autre ouvrage de prévu, si oui sur quel sujet ?

J’ai terminé l’écriture de ce livre à l’été 2009, les chiffres ont un peu changé car le mobile est le secteur qui évolue le plus vite en ce moment, pour autant tout ce qui est marketing relationnel ne change pas. J’ai un deuxième livre qui est sorti aux éditions Territoriales, Marketing Mobile et communication publiques, nouvel enjeu et solutions techniques, et un troisième est en préparation. J’ai un projet de recherche en collaboration avec le port du Havre pour des applications mobiles pour aider les dockers, ce qui montre bien que le mobile peut avoir bien des usages ! Je collabore par ailleurs, avec le GS1, je suis professeur dans plusieurs écoles au Havre, à Deauville et à Caen et depuis peu collabore au think tank Obosco qui travaille au futur de la consommation.

Pour contacter Florence sur Linkedin, et la suivre sur Twitter.

Vincent Tessier

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About the author: Vincent Tessier

Head of Mobile chez LaPlaceMedia, 1er adexchange privé. Ex-Trademob, Cellfish Media et AOL Advertising. Dîplomé de l'ISC Paris et du MBA Marketing et Commerce sur Internet de l'ILV.

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